LA LAICITE ET SES AVATARS1

« Quant à la religion, je n’en parle pas. Cela est un domaine en dehors de la politique…Allez dans vos temples, priez, je ne vous connais pas. Ce que je demande, c’est la liberté, une liberté égale pour vous et pour moi, pour ma philosophie comme pour votre religion, pour la liberté de penser comme pour votre liberté de pratiquer. Ne dites donc pas que nous sommes les ennemis de la religion, puisque nous la voulons assurée, libre et inviolable. » (Léon GAMBETTA2, le 27 septembre 1872)

Alors qu’en 1492, Boabdil, dernier roi maure de ce royaume de Grenade fondé au 8ème siècle3 gravit lentement avec 300 hommes4 « la cuesta de las lagrimas »5 pour atteindre le col appelé depuis « le soupir du maure » sur le mont Padul, contemple son armée battue par celle des rois catholiques6 et pleure son royaume et sa chère Grenade à jamais perdus, sa mère, la princesse Aïcha, lui dit en substance :  « Pleure comme une femme ce royaume que tu n’as pas su garder comme un homme. »

On peut imaginer que Boabdil avait bien raison de pleurer la perte d’un royaume, non par le pouvoir qu’il perdait (il l’avait en effet déjà perdu), mais parce que cela signifiait la fin d’une époque de tolérance, de bienveillance et de rayonnement intellectuel, sans doute avec quelques restrictions qui peuvent nous apparaître inacceptables aujourd’hui, mais ne sommes-nous pas au 15ème siècle ?

En effet, jusqu’en 1492, juifs, musulmans et chrétiens vivaient en bonne entente même si, ici ou là, on ne peut l’ignorer, des tensions voire des exactions se faisaient jour. La conquête ne se fit, en effet, non sans mal, et on peut souligner que, comme dans toute guerre d’expansion, les débuts en furent sanglants. Les luttes successives entre Omeyyades, Abbassides et Almoravides y sont pour quelque chose. Après 1150, la période ne voit pas seulement une cohabitation harmonieuse entre musulmans et chrétiens ; les juifs ont aussi leur place dans l’organisation de cette société.

L’Espagne musulmane, « Al’Andalus », sous l’autorité du Califat de Damas, prit son siège en 711, dans la péninsule ibérique, à Cordoue en ayant chassé les Wisigoths. Les chrétiens, et cela est exemplaire au point d’être souligné ici, devenus des « mozarabes », conservaient le libre exercice de leur culte et gardaient leurs autorités traditionnelles (les évêques) à la condition, il est vrai, du paiement d’un tribut. Cette période ne fut cependant pas idyllique pour tous : en 711, en effet, il y eut la persécution des chrétiens, puis de 912 à 962, une époque de rayonnement intellectuel avec Abder-Rahman III qui s’entoura de juifs et de chrétiens, pour retrouver une nouvelle période d’exaction contre les juifs vers 1148.

Cette organisation tiendra jusqu’au 11ème siècle environ, époque qui verra la chute des califats, remplacés par les « rois de taifas »7. C’est à ce moment là, alors, que l’Espagne musulmane atteindra son apogée, devenant une civilisation originale « œuvre commune des différents groupes religieux et ethniques qui la composent. Entre ces groupes, l’arabe joue le rôle de langue de culture, rôle d’autant plus important qu’une part de l’héritage intellectuel de la Grèce et d’Alexandrie, demeuré inconnu en occident, s’est conservé dans des traductions arabes. En outre, une pensée philosophique originale s’exprime dans l’œuvre du juif Maïmonide et dans celle de l'Arabe Avéroès7, qui vit à Cordoue au 12ème siècle.

Le 02 janvier 1492, à la chute du royaume de Grenade, l’Inquisition8 encouragée par les rois catholiques, et le pape Innocent VIII9, mettra fin à cette époque de tolérance en reniant les avantages consentis (les capitulations) aux musulmans, en les forçant à se convertir ou à s’exiler (1502). Ceux qui, convertis de force, resteront, seront appelés « les morisques », et seront contraints au XVIIème siècle de quitter l’Espagne ; cette émigration touchera plus de 200 000 personnes. Ils en sera fait de même avec les juifs, les « conversos », qui seront contraints de porter « la rouelle » et qui auront pour choix, à terme, de se convertir ou d’être expulsés. Ceux qui resteront après conversion seront appelés « les maranes », terme péjoratif qui signifie « porc », et seront toujours soupçonnés de judaïser secrètement. Un autre monde voit le jour : c’est l’unité du royaume d’Espagne, c’est l’avènement du «siècle d’or», mais c’est surtout la fin d’une expérience qui avait duré 7 siècles et qui avait démontré qu’un véritable humanisme avant la lettre était possible10.

Faisons un premier saut dans l’histoire !

Le 13 avril 1598, le roi de France, Henri IV, après avoir échappé à la Saint-Barthélémy (23 au 24 août 1572)11, tente de mettre fin aux guerres de religions (1562-1598)12 par la promulgation de l’Edit de Nantes. Du point de vue religieux, les calvinistes étaient libres de pratiquer leur culte partout où il était en vigueur avant. Du point de vue politique, l’Etat considérait les calvinistes comme un corps organisé et leur donnait des garanties juridiques, politiques (accès à toutes les places) et militaires (une centaine de places de sûreté pour huit ans).

Un peu moins d’un siècle plus tard, sous l’influence de l’Eglise et notamment de BOSSUET13 et de Madame de Maintenon14, le 18 octobre 1685 par l’édit de Fontainebleau, Louis XIV révoque l’Edit de Nantes. Cette révocation eut pour effet immédiat la destruction des temples, l’interdiction des assemblées, l’interdiction du culte, l’exil des pasteurs sans leurs enfants âgés de plus de sept ans et l’éducation de ces derniers dans la religion catholique et l’instauration de mesures policières, « les dragonnades »15, provoquant en cela, même si elle fut interdite par l’Edit, une émigration massive des protestants vers la Suisse, l’Allemagne, le nouveau monde et même vers l’Afrique du sud malgré l’interdiction faite aux simples fidèles alors que les pasteurs sont tenus de partir. (environ 200 à 300 000 personnes). Il s’agit là d’une triple erreur de la monarchie : politique parce qu’elle coupe le roi des protestants, religieuse parce qu’elle discrédite le clergé catholique et diplomatique parce qu’elle coupe la France de l’Europe réformée avec laquelle la France entrera en guerre en 1689. Ce sera aussi la persécution des jansénistes qui défendaient la doctrine de Jansénius16. L’un des plus célèbres partisans de cette doctrine fut Blaise Pascal (1623-1662) qui se convertit lui-même au jansénisme dans la nuit du 23 novembre 1654. Lors de cette « nuit du feu », Pascal eut le sentiment de rencontrer Dieu. A sa mort, on trouva, cousu dans la doublure de son vêtement, un papier relatant les faits : « le mémorial ». Ses écrits en témoignent : dans les « Provinciales », il met en cause gravement les jésuites, adversaires des jansénistes. On sait comment cela se termina : en 1709, Louis XIV impose l’évacuation des religieuses et en 1711 la destruction de Port-Royal. En 1713, sous la pression du roi, le pape Clément XI, par la bulle papale « Unigenitus » de 1713, en condamnant 101 propositions extraites des « réflexions morales du nouveau testament » du père Pasquier QUESNEL17 qui dès 1668 avait traduit en français le nouveau testament, condamne les jansénistes.

Faisons un deuxième saut dans l’histoire !

Le 16 juillet 1801, Napoléon Bonaparte, 1er Consul, et Pie VII concluent un concordat18.

Par ce texte, qui met fin au concordat de Bologne du 18 août 1516 signé entre François 1er et le pape Léon X, il est clairement affiché que si le catholicisme n’est plus religion d’Etat19, il reste celle de la grande majorité des français. Le culte est publique et le gouvernement nomme les évêques, le pape leur donnant ensuite l’institution canonique. Si les évêques nomment les curés, ils doivent cependant en demander l’agrément au gouvernement et prêter serment de fidélité à l’autorité civile. L’aliénation des biens de l’Eglise ordonnée par la révolution de 1789 perdure, l’Etat se chargeant de l’entretien des bâtiments et du salariat des prêtres et du personnel ecclésiastique. Mais les bâtiments sont remis aux évêques (article 12 du Concordat) et on instaure « les fabriques » qui ont pour mission de gérer ces biens.

C’est la victoire du gallicanisme inauguré par Philippe IV le bel au début du 14ème siècle. Mais cela met aussi fin aux guerres civiles et religieuses qui avaient décimé les Français lors de la révolution.

Il est reconnu que l’Eglise est installée dans l’Etat ( les cardinaux siègent de droit au Sénat) et garde un droit de regard sur l’éducation des jeunes, le primaire restant de sa sphère, le secondaire étant dévolu à l’université impériale, même si la Sorbonne a pour directeur un évêque. Il est important de souligner que ces accords sont étendus aux protestants des deux religions, la luthérienne et la calviniste mais ne le sera à la judaïque que par un double décret du 17 mars 1808. Il convient de préciser cependant que par ce décret, « le décret infâme »20, les juifs sont placés hors du droit commun pour dix ans ! C’est le système des cultes reconnus par l’Etat : catholique, protestant et juif. Les musulmans n’y figurent pas.



Faisons un troisième saut dans l’histoire !

Préparée par les lois du 30 octobre 1886, loi prévoyant la laïcisation des membres de l’enseignement public (loi Goblet), de 1901, loi sur les associations et de 1904, loi sur les congrégations, la loi du 09 décembre 1905, dite loi « Combes »21, est promulguée par la 3ème République. Cette loi prévoit la séparation des Eglises et de l’Etat en consacrant la liberté de conscience. L’application de cette loi n’ira pas sans mal22 ; elle est cependant aujourd’hui toujours en vigueur et notamment dans son article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre accès des cultes. »23

Dernier saut dans l’histoire !

Le 04 octobre 1958, le général de Gaulle, Président de la République, fait adopter par la France la Constitution de la 5ème République qui proclame « solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. » C’est ainsi que l’on peut lire dans l’article 1 de la Constitution de 1958 que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

Ce propos qui semble éloigné de notre sujet a cependant le mérite de mettre en lumière, pour notre pays, d’une part, très tôt, la préoccupation de l’Etat, c’est à dire du monarque « de droit divin » de disputer à Rome le titre de chef spirituel et temporel de ses sujets. C’est ce qu’on appellera le « gallicanisme »24 qui n’est pas à proprement parler de la sphère laïque, mais qui relève plus du politique, l’Etat contrôlant l’Eglise gallicane, cette dernière bénéficiant en retour de privilèges conséquents. D’autre part, un peu plus tard, c’est le long accouchement de la notion de tolérance25 au sens Voltairien du terme, c’est à dire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez continuer à le dire. »

Si l’Espagne musulmane a montré le chemin quant aux avantages indéniables d’une cohabitation pacifique entre les trois religions du Livre et, plus encore, quant à la position raisonnable qu’un état se devait d’adopter pour faire en sorte que l’harmonie règne entre les peuples qui le composent, la France de l’Edit de Nantes a tenté une première réconciliation entre les hommes de bonne volonté, même si l’Edit ne concerne que catholiques et protestants.

La France de l’Empire a commencé à prendre ses distances avec le fait religieux en général. Le concordat de 1801 restera en vigueur jusqu’à la loi du 09 décembre 1905. Il a tenté d’organiser les cultes au sein de l’Etat.

Par la loi de 1905, l’Etat se sépare du religieux en affirmant qu’il s’agit de deux sphères différentes et indépendantes.

La Constitution de 1958 confirme cette longue démarche d’apprentissage de la tolérance au profit des libertés individuelles.

Qu’est-ce que la laïcité ?

Plusieurs définitions s’offrent à nous.

La première est de dire que la laïcité, c’est ce qui permet de penser le monde en dehors de toute transcendance26.

Mais la laïcité, c’est aussi l’ensemble des dispositions juridiques et constitutionnelles qui organisent en France la liberté de conscience assortie d’une liberté juridique.

Il s’agit donc de ne pas confondre la laïcité philosophique et la laïcité juridique.

La laïcité est liée à l’histoire de la sécularisation en France, c’est à dire à la séparation entre l’Etat et l’Eglise.

Si le mot de laïcité n’apparaît que lors de la seconde moitié du 19ème siècle dans Littré, le laïcat est une notion très ancienne dans les églises chrétiennes et notamment dans l’église catholique. L’encyclopédie universalis nous dit que « le terme de laïc, en latin « laicus : ecclésiastique » vient du grec « laos » qui signifie « peuple »27. La distinction entre clerc et laïc n’apparaîtra clairement qu’en 95 après J.C.. Les laïcs sont des membres à part entière du peuple de Dieu. De par leur sacerdoce baptismal, ils exercent une fonction prophétique de témoignage, de service et de communion dans les tâches familiales, professionnelles et dans celles qu’on qualifierait aujourd’hui de « civiles et de politiques ». Au cours des siècles, la notion va évoluer du fait même de la position du politique par rapport à Rome. La Réforme portera un coup sévère à cette conception du laïcat. Le concile de Vatican II proclamera que l’Eglise est d’abord le peuple de Dieu avant d’être une institution hiérarchique. C’est une nouvelle définition de l’état de laïc qui introduit une minoration dans la différence entre les états de clerc et de laïc ; cela ne sera pas sans conséquence. La crise des vocations et les divers mouvements intégristes en sont des preuves évidentes.

Le fait laïc est un processus historique occidental, prenant en France une forme particulière qui s’appelle la laïcité, laïc étant entendu comme non-clerc. En fait, on part d’une définition religieuse pour définir l’état de laïc. La laïcité, c’est le mot français pour désigner la sécularisation.

Si, dès le XVIème siècle, on ne recherche pas vraiment un œcuménisme, l’opposition entre intolérance et tolérance subsistant, l’édit de Nantes de 1598 accordait cependant aux protestants des garanties politiques et juridiques. C’est là, véritablement, un début d’entente sur le fait de raisonner en dehors des théologies à propos de la paix civile. C’est un vrai progrès de la pensée et de l’esprit.

Si avant 1789, le roi est l’oint du Seigneur et sacré par l’Eglise, celle-ci reste subordonnée au pouvoir royal. « A l’Eglise le ciel, aux hommes le siècle », mais la monarchie reste encore le protecteur de l’Eglise : la France est la fille aînée de l’Eglise.

Sans ignorer l’action « des lumières »28, c’est véritablement à partir de 1789 que les choses changent. Une série d’événements vont en effet amener les relations entre l’Etat et l’Eglise à se clarifier, mais, surtout, à se radicaliser.

Dans la nuit du 04 août 1789, bénéfices et privilèges sont abolis. Le 26 août 1789, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen29 proclame dans son article 10 la liberté religieuse. Le 10 octobre 1789, et pour remédier à la crise financière, Talleyrand, évêque d’Autun, nationalise les biens de l’église. Le 24 décembre de la même année, un décret stipule que « les non-catholiques pourront être électeurs et éligibles aux fonctions fixées, qu’ils sont capables de tous emplois civils et militaires, comme tous les autres citoyens »30. Le 13 février 1790, les ordres religieux sont dissous. Le 12 juillet 1790, la Constitution civile du clergé31 est adoptée, approuvée par Louis XVI le 24 août, et sera à l’origine de bien des problèmes entre prêtres jureurs et prêtres réfractaires. Ces derniers, par leur opposition au régime, participent à la perte de pouvoir de l’Eglise, cette perte étant accentuée par les « cultes révolutionnaires » tels celui de la Déesse Raison auquel succéda celui de l’Etre Suprême32 conçu par Robespierre. Enfin, la Constitution de 1791 porte un coup sévère au pouvoir clérical : en effet, il est décidé de la laïcisation33 de l’état civil.34

Mais on ne saurait évoquer cette période sans citer Marie-Jean CARITAT, marquis de CONDORCET35, qui, dans son « rapport sur l’organisation générale de l’Instruction publique » présenté les 20 et 21 avril 1792 à l’Assemblée nationale législative, déclare : « La première condition de toute instruction est de n’enseigner que des vérités ». Il ajoute plus loin que :  « la constitution, en reconnaissant le droit qu’a chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne permet point d’admettre, dans l’instruction publique, un enseignement qui, en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux, et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. Il était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute religion particulière, et de n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux. Chacun d’eux doit être enseigné dans les temples par ses propres ministres. Les parents, quelle que soit leur opinion sur la nécessité de telle ou telle religion, pourront alors sans répugnance envoyer leurs enfants dans les établissements nationaux ; et la puissance publique n’aura point usurpé sur les droits de la conscience ».

La Constitution de l’an III (1795), sous le Directoire, prévoyait déjà une séparation36 assez dure entre Etat et Eglise, disposition qui fut remise en cause par le Concordat de 1801. Ce faisant, on ne règle pas pour autant la question de ceux qui restent des croyants de l’hétéronomie37 alors qu’on entre de plain-pied dans l’autonomie. Dès 1871 ce sera l’une des grandes questions que la République aura à résoudre. Comment faire cohabiter liberté métaphysique et liberté politique ? C’est là tout l’enjeu de la laïcité ; la neutralité de la sphère publique comporte un implicite parce qu’elle reste quelque part supérieure à la sphère privée38.

Par le concordat de 180139, c’est le système des cultes reconnus par l’Etat qui se met en place avec cependant une prééminence de l’Etat.

On ne peut ignorer le franchissement d’un nouveau pas vers la séparation entre cultes et Etat par la loi GUIZOT du 28 juin 1833 qui proclame que l’instruction primaire est du ressort de l’Etat en obligeant les communes à l’entretien des écoles et des maîtres et en leur faisant obligation d’ouvrir une école primaire de garçons et aux Chefs-Lieux de département une école normale d’instituteurs tout en, créant les « écoles primaires supérieures ». Si on peut y voir, ce que la révolution de 1789 avait initié, l’intérêt porté aux enjeux liés à l’éducation de la jeunesse, on peut aussi sourire avec Michel MORINEAU en pensant que GUIZOT, protestant affirmé, prenait là une revanche sur la révocation de l’Edit de Nantes.

Mais les adversaires de l’école publique, gratuite et laïque ne désarment pas. Déjà, en 1845, le 13 mai, devant la Chambre, LAMARTINE s’exclamait en leur direction : « Il n’y a de paix, sachez-le bien, que dans la liberté des cultes, il n’y a de paix que dans la séparation graduelle, successive, dans le relâchement systématique et général des liens qui unissent l’Eglise à l’Etat.(…) Déclarons la neutralité de l’Etat en matière de culte . »

En 1850, la loi FALLOUX40, éminemment favorable à l’église, déchaînera les passions. Le 14 janvier 1850, Victor HUGO, tonnera ainsi : « Je ne veux pas de la loi qu’on vous apporte.(…) Je la repousse parce qu’elle confisque l’enseignement primaire, parce qu’elle dégrade l’enseignement secondaire, parce qu’elle abaisse le nom de la science, parce qu’elle diminue mon pays. » La loi sera cependant votée le 15 mars 1850.

Trente ans plus tard, le 28 mars 188241, la loi FERRY, relative à l’obligation de laïciser l’enseignement, sera votée. Ce n’est cependant que le 20 octobre 1886 que la loi GOBLET obligera à la laïcisation du personnel enseignant. Jules FERRY déclarera dans « sa lettre aux instituteurs »42 :  « Parlez donc à l’enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre : avec force et autorité chaque fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée (…) avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux (…) Au moment de proposer à vos élèves un précepte, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance (…) si un père de famille, je dis bien un seul, présent dans votre classe et vous écoutant, pourrait, de bonne foi, refuser son assentiment à ce qu’il entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, si non, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l’enfant (…) c’est la sagesse du genre humain (…). »

On ne peut ignorer non plus l’influence de l’affaire Dreyfus43 (1894-1906) qui coupa la France en deux. En effet, selon Michel WINOCK44, le déchaînement de la presse cléricale lors de l’affaire « fait mieux comprendre la contre-offensive anticléricale menée par les gouvernements Waldeck-Rousseau45 et Emile Combes, quels que soient les excès de celui-ci. Waldeck, esprit pourtant modéré, inquiété par la virulence de cette presse catholique, a pris une mesure d’importance : la loi sur les associations du 1er juillet 1901. Texte d’intérêt général, la loi reconnaissant le droit d’association et fut à l’origine de leur essor, à commencer par la création des partis politiques ; mais aussi texte de combat particulier, qui visait les congrégations religieuses, dont il n’était pas question dans le Concordat de 1801, réservé au clergé séculier. Les ordres monastiques, les congrégations ne peuvent se former sans une autorisation, qui ne sera accordée que par une loi. Cela signifiait que les religieux n’avaient pas le droit d’enseigner sans autorisation. » Cette loi fut suivie par la promulgation de celle de 1904 frappant d’interdiction d’enseignement toutes les congrégations religieuses sous l’impulsion du ministère Combes, et aboutira à celle de 1905.

Ces lois de 1901 (loi sur les associations), 1904 (loi sur la suppression des congrégations)46 qui entraînera la rupture des relations diplomatique de la France avec Rome et du 9 décembre 1905 (loi de séparation des Eglises et de l’Etat) consacrent la liberté de conscience et le triomphe des modérés, Briand47, Jaurès48 et Buisson (collaborateur de Jules Ferry, l’un des fondateurs de la ligue des droits de l’homme, prix Nobel de la Paix en 1927, il était président de la commission d’élaboration de la future loi) sur les durs tels Viviani49 et Combes50 qui voulaient éradiquer la religion. Entre ceux qui voulaient « éteindre les lumières dans le ciel » (Viviani) et les concordataires qui souhaitaient une séparation interdisant aux églises de se mêler des affaires de l’Etat mais autorisant l’Etat à surveiller les affaires de l’Eglise, la proposition de Briand, qui deviendra loi, « la loi doit laisser la liberté à tous les cultes et garantir la liberté de conscience » montre la victoire d’une conception libérale.

On passera alors d’une société du « tout religieux » à une autonomie entre la sphère religieuse et la sphère civile (1905).

En effet, la séparation est conçue comme une liberté publique et pose à égalité et de manière indissociable une liberté individuelle – la liberté de conscience – et une liberté collective – la liberté religieuse.

En conséquence, les libertés de conscience et de culte sont garanties, les cultes sont libres de s’organiser selon leurs propres règles, et l’Etat donne les moyens de leur exercice pour ceux qui en seraient empêchés : aumôneries des prisons, des lycées, armée51….

Du même coup, la loi établit la neutralité idéologique et philosophique de l’Etat, des services publics et de ses personnels. Cependant, comme le note Jean BAUBEROT52, « s’il n’y a plus de religion officielle, l’ensemble des traces du rôle public joué historiquement en France par la religion est maintenu. Cela se marque notamment dans le calendrier où la 3ème République a même ajouté le lundi de Pâques et le lundi de Pentecôte aux quatre fêtes d’obligation catholiques – Noël, Ascension, Assomption et Toussaint déclarées jours fériés en 1802.» « La France, ajoute-t-il, ne se coupe pas de ses racines religieuses mais d’autres religions –comme le judaïsme, l’Islam ou le Bouddhisme- qui ne voient leurs fêtes prises en compte qu’à titre d’autorisations individuelles d’absences pour les fonctionnaires, agents publics et élèves ».

La loi ne privilégie aucun culte ( ce sera repris dans la Constitution de 1958), tous sont juridiquement égaux en droits et en devoirs.

Les cultes ont droit à une expression publique, avec des réserves, mais les églises sont des institutions de droit privé.

La loi de 1905 est une loi « anticléricale » mais non « anti-religieuse ». Elle se veut tolérante et ouverte. Elle consacre pour la première fois la reconnaissance juridique du pluralisme religieux de la Nation. Cela n’a pas été sans difficultés53 ni sans coûter cher à l’Etat. Même si l’Etat ne salarie plus les prêtres54, il prend en charge l’entretien des biens, des subventions éventuelles versées aux associations dans le cadre de la loi de 1901, aux aumôneries militaires ou scolaires voire carcérales, etc.. Selon monsieur Michel MORINEAU, spécialiste de la laïcité, « la laïcité à la française est un divorce à l’amiable avec une substantielle pension alimentaire. »

La laïcité à la française, originale et unique en Europe,  montre que les républicains ont fait preuve d’une éthique de la responsabilité et non d’une éthique de conviction.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Vous l’avez compris, mon propos ne portera pas sur la laïcité philosophique, cela relève de la sphère privée et intime, mais sur la laïcité juridique telle que la République la proclame. Deux types de textes officiels sont les bases juridiques auxquelles tous les citoyens ont le devoir et le droit de se référer en ce domaine : les textes nationaux, nous en avons évoqué quelques-uns, et les textes internationaux ratifiés par la France dans le cadre des accords et traités qu’elle signe avec les autres pays. C’est sur ces textes que les juges, lorsqu’ils sont saisis, prennent appui pour dire le droit. Il convient donc de les connaître et d’en comprendre les limites qui s’imposent à tout citoyen comme dans toute démocratie digne de ce nom.

D’abord, les textes nationaux.

1.De par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, en ses articles 10 et 11 :

Art 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Art 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi,

2.De par les lois :

Loi du 15 mars 1850 (loi Falloux), favorable à l’église, précise en son article 17, « que la loi reconnaît deux espèces d’écoles. Les écoles fondées en entretenues par les communes, les départements ou l’Etat qui prennent le nom d’écoles publiques et les écoles fondées ou entretenues par des particuliers ou des associations qui prennent le nom d’écoles libres. L’article 69 de la même loi ajoute que le financement des écoles libres ne pourra excéder 1/10ème des dépenses annuelles de l’établissement.

Loi du 28 mars 1882 (loi Ferry), « l’école publique est laïque, gratuite et obligatoire. L’instruction morale et religieuse est remplacée par l’instruction morale. »

Loi du 30 octobre 1886 (loi Goblet), laïcisation du personnel dans les écoles publiques,

Art 17 : Dans les écoles publiques de tous ordres, l’enseignement est exclusivement réservé à un personnel laïc.

Loi du 9 décembre 1905, loi de séparation des Eglises et de l’Etat :

Art 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre accès des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Art 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimés des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans mes établissements publics tels les lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

Loi du 2 janvier 1907, qui organise l’exercice public des cultes,

Loi du 28 mars 1907 qui, en son article unique, précise : « Les réunions publiques, quel qu’en soit l’objet, pourront être tenues sans déclaration préalable. »

3.De par la Constitution du 04 octobre 1958 en son article premier, 

Art 1 : (…) La République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.

4.De par la loi du 31 décembre 1959 (loi Debré) qui précise :

Que « l’Etat assure aux enfants et adolescents dans les établissements publics d’enseignement la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes dans un égal respect de toutes les croyances. Il prend toute disposition utile pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse. »

5.De par la loi du 10 juillet 1989, loi d’orientation sur l’éducation en son article 10 :

Art 10 : Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités de l’enseignement.

6.De par la loi du 15 mars 2004 et sa circulaire d’application du 18 mai 2004 :

Art 1er : Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

Des garanties fondamentales sont donc accordées à tous les citoyens de la République française dans la mesure où ils respectent eux-mêmes les limites et prescriptions prévues par ces mêmes lois.

Ensuite, les textes internationaux55

Sans faire un cours de droit international, ce n’est ni le lieu, ni le moment, il faut cependant savoir que, quand la France ratifie des textes sous forme de traités, de conventions et/ou de chartes internationales, ceux-ci s’imposent alors à notre propre corpus de textes. En effet, en application de l’article 55 de la Constitution de la République, « les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. »

Dans le sujet qui nous occupe, la laïcité, les textes ne manquent pas. On citera ici :

1- La charte internationale des Droits de l’Homme

Cette charte, adoptée et proclamée par l’assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948, comprend plusieurs textes :

La déclaration universelle des droits de l’homme, Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Le pacte international relatif aux droits civils et politiques, Le protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme (30 articles) ( 10 décembre 1948).

Art 2-1 : Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Art 7  : Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination.

Art 18  : Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.

Art 19 : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Art 26-1 : Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. (…)

Art 26-2 : L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. Art 26-3 : Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants.

Art 29-1 : L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible.

Art 29-2 : Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien être général dans une société démocratique.

Art 29-3 : Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies.

Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (16 décembre 1966)

Art 2-2  : Les états parties au présent pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou tout autre situation.

Art 13-1 : Les états parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation. Ils conviennent que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l’éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.

Le pacte international relatif aux droits civils et politiques(16 décembre 1966)

Art 18-1 : Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et par l’enseignement. Art 18-2 : Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.

Art 18-3 : La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.

Art 18-4 : Les états parties au présent pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, les tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

2- La proclamation de Téhéran, proclamée par la conférence internationale des droits de l’homme le 13 mai 1968

Art 5 : Dans le domaine des droits de l’homme, l’Organisation des Nations Unies a pour principal objectif de permettre à l’humanité d’atteindre un maximum de liberté et de dignité. Pour que cet idéal devienne réalité, il faut que les lois de chaque pays accordent à chaque citoyen – quelles que soient sa race, sa langue, sa religion et ses convictions politiques – la liberté d’expression, d’information, de conscience et de religion, ainsi que le droit de participer pleinement à la vie politique, culturelle et sociale de son pays.

3- La lutte contre les discriminations

Il s’agit d’un corpus de textes comprenant « la déclaration des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale proclamée le 20 novembre 1963 », « La convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale proclamée le 21 décembre 1965 » et de la convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement adoptée le 14 décembre 1960 et entrée en vigueur le 22 mai 1962

Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement

Art 1 : Aux fins de la présente convention, le terme de « discrimination » comprend toute distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la condition économique ou la naissance, a pour objet de détruire ou d’altérer l’égalité de traitement en matière d’enseignement et, notamment :

a)D’écarter une personne ou un groupe de l’accès aux divers types ou degrés d’enseignement ; b)De limiter à un niveau inférieur l’éducation d’une personne ou d’un groupe(…)

4- La convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989

Faisant référence à « La déclaration des droits de l’enfant » adoptée par les Nations Unies en 1959, cette « convention internationales des droits de l’enfant » déclare :

Art. 13 : L’enfant a droit à la liberté d’expression. ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontière, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.

Art. 14 : Les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumises qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publique ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui.

Art. 29 : Les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à préparer l’enfant à assumer les responsabilité de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone.

En conclusion, il m’apparaît utile de rappeler l’article 4 de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 :

Art 4 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Si à cet article on adjoint la belle devise de la République : « Liberté, Egalité, Fraternité », alors on dispose de tous les moyens pour que notre monde vive dans une compréhension mutuelle et dans le respect des uns et des autres.

Il en va ainsi de la laïcité. Le respect de toutes les croyances par la République signifie que celle-ci n’a pas à s’en préoccuper, ces dernières relevant de ce que nous avons appelé la sphère privée. Elle n’a donc pas à les reconnaître, ni à en privilégier aucune. Si elle le faisait, ce serait le retour à une époque résolument révolue qui fit, dans le passé, des blessures dont les cicatrices se ferment à peine. Le monde est plein d’exemples à ce sujet ; il n’est que lire la presse quotidienne. Si la République est laïque et ne reconnaît aucun culte, c’est parce que toutes les croyances ont le droit d’être librement exprimées. Par sa neutralité, l’Etat autorise l’expression des convictions de chacun.

Nous avons le rare privilège de nous trouver dans un système éducatif public et laïc, ce qui signifie que les agents de l’Etat doivent observer, à notre égard, et dans le cadre du service public d’éducation, une stricte neutralité quant aux opinions qui sont les leurs dans les domaines politiques, économiques ou philosophiques. S’il n’en était pas ainsi, nous pouvons imaginer aisément les conflits qui pourraient naître dans les établissements scolaires. Pour eux, comme pour tout agent de l’Etat, dans l’exercice de leurs fonctions, la liberté de conscience n’est pas absolue et reste encadrée et soumise au devoir de réserve. Monsieur Rémy Schwartz, commissaire du Gouvernement, rappelait dans ses conclusions relatives à une affaire soumise au Conseil d’Etat56 que « ce principe de laïcité est renforcé encore par la conception républicaine de l’Etat. Le politique commande aux administrations. Mais le pendant de cette soumission au pouvoir politique, à ses orientations et instructions, est la neutralité absolue des mêmes administrations. C’est une garantie donnée tant aux agents, face aux aléas de la vie politique, qu’aux administrés. »

En revanche, la loi reconnaît aux jeunes, notamment à ceux qui sont scolarisés, comme à tout citoyen, le droit de manifester dans le respect des prescriptions prévues par cette même loi, leurs propres convictions dans les domaines sus-cités.

Elle le permet même à l’Ecole, c’est l’article 10 de la loi d’orientation du 10 juillet 198957, dans la mesure où l’exercice de ces libertés ne porte pas atteinte aux activités d’enseignement. Cette liberté est donc également encadrée et c’est heureux ! Si tel n’était pas le cas, on voit assez facilement ce qui adviendrait de ceux qui n’auraient ni les moyens, ni la force de se défendre face à des convictions affirmées comme vérités pour ne pas dire comme la Vérité !

C’est donc à une réflexion critique que je vous invite sur le concept de laïcité, sans doute, mais aussi sur ceux de neutralité, de libertés et Liberté, de vérités et Vérité.

L’ancien ministre de l’éducation nationale, Jack Lang, écrivait dans la préface d’un document consacré à « la prévention des risques de prosélytisme sectaire »58 :

« Est-il projet plus noble que celui de former des citoyens libres, responsables, respectueux des autres, capables de penser de façon autonome, d’imaginer l’amélioration de chacun et de rechercher le progrès en toutes choses ? C’est celui de l’Ecole (…), c’est d’abord le droit à l’instruction, au savoir, le droit à la discussion, à la contestation. C’est l’adhésion à la vie en société, avec la seule et noble contrainte du respect de l’autre et de ses convictions. C’est un combat permanent aussi, contre la soumission, la servitude, l’aveuglement, l’exclusion, l’irrationalité dogmatique, l’enfermement et la manipulation mentale. »

Ce combat est « au service de l’autonomie de la conscience »59, au service de tout le peuple qui constitue la Nation. Cela n’est pas sans poser de questions ; l’une d’elles, notamment, est de savoir quelles sont les limites que l’Etat doit se donner et quelles sont celles qui se posent à chacun des citoyens dans l’exercice de la liberté de conscience et dans l’exercice des libertés fondamentales garanties par la Constitution.

Mais ce combat pose encore une autre question : jusqu’où peut-on tolérer le droit à la différence sans dévoyer les principes de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ? Dans un monde multiculturel, et il faut s’en réjouir, la tentation de l’ethnocentrisme, c’est à dire la valorisation de cultures dont les principes peuvent être en opposition avec les nôtres au nom de la Liberté peut mener, et l’histoire l’a montré, à des excès hautement condamnables. Ces cultures peuvent en arriver à une tentative de déstabilisation de la « culture dominante d’accueil », alors que cette dernière avait pour objectif de les protéger en tant que groupes minoritaires. Une autre tentation se fait jour, celle des communautarismes, c’est à dire l’idée d’un développement séparé des groupes communautaires. C’est quelque part accepter l’inacceptable ( les pratiques de mutilation sexuelle chez les toutes jeunes filles, par exemple) pour aboutir, enfin, au rejet de nos institutions et des principes fondamentaux du droit par « des autorités autoproclamées »60 qui exigent, au nom de ces mêmes principes, des traitements d’exception : « tu me prends comme je suis et je refuse de discuter et que soient discutées les valeurs auxquelles je me réfère. »

Vous l’avez compris, la réflexion à propos de la laïcité est loin d’être close ! A nous de nous en saisir et, dans un bel élan riche de savoir critique mais non exempt de générosité, de trouver d’autres voies à la laïcité que l’assimilation, la coexistence ou l’intégration qui sont celles d’aujourd’hui pour que la paix et la fraternité règnent parmi les hommes61.

C’est ce que le Président de la République avait exprimé dans son allocution du 20 novembre 2003 lors de l’ouverture du débat national sur l’école :  « Depuis plus d’un siècle, la République et l’école se sont construites l’une avec l’autre (…) l’école de la République , ciment de la Nation, source de l’identité française. »

C’est ce qui a animé la commission voulue par le Président de la République et présidée par monsieur le Conseiller d’Etat Bernard STASI dont les travaux se sont entourés de tous les avis des différentes obédiences pour aboutir à la loi du 15 mars 2004.

C’est ce que le Premier Ministre déclarait le mardi 3 février 200462, à la tribune de l’Assemblée Nationale, lors de l’ouverture du débat sur le projet de loi relatif à l’application du principe constitutionnel de laïcité dans les écoles, collèges et lycées : « La question que pose le projet de loi que je suis venu vous présenter, c’est celle de la permanence de nos valeurs, c’est aussi celle de notre capacité à les faire partager à ceux qui nous ont rejoints plus récemment et qui sont aujourd’hui français à part entière. C’est enfin celle de la capacité de la république à pouvoir agir pour ses convictions, sans faiblesse.(…) Notre devoir est donc de créer les conditions du partage de ces valeurs. (…) Liberté, et donc liberté de conscience, égalité, et donc égalité entre les hommes et les femmes, fraternité, valeur humaniste à la foi spirituelle et authentiquement laïque. (…) Parce que l’Etat est le protecteur de la liberté de conscience (…) je vous le dis avec force et conviction (…) dans la République française la religion ne peut pas et ne doit pas être un projet politique (…) la laïcité étant (alors) à la fois une tradition, une manière de vivre, mais aussi, pour les Français, un promesse de liberté. »