Dans "Le Parisien.fr" de ce jour, un article nous apprend qu'une jeune femme convertie à l'Islam, et c'est son droit le plus absolu, a voulu se baigner dans une piscine publique habillée avec un "burkini". Je ne reviens pas sur les arguments forts justes développés par ls responsables municipaux pour interdire cette pratique (viendrait-il à l'idée de quiconque de mettre en cause la légitime interdiction du short de bain, ou de sa longueur, ou de sa texture), pour souligner ici quelques principes fondamentaux et quelques valeurs de notre République.

Il m’apparaît utile de rappeler l’article 4 de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 :

Art 4 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Si à cet article on adjoint la belle devise de la République : « Liberté, Egalité, Fraternité », alors on dispose de tous les moyens pour que notre monde vive dans une compréhension mutuelle et dans le respect des uns et des autres.

Il en va ainsi du principe constitutionnel de la laïcité. Le respect de toutes les croyances par la République signifie que celle-ci n’a pas à s’en préoccuper, ces dernières relevant de la sphère privée. Elle n’a donc pas à les reconnaître, ni à en privilégier aucune. Si elle le faisait, ce serait le retour à une époque résolument révolue qui fit, dans le passé, des blessures dont les cicatrices se ferment à peine. Le monde est plein d’exemples à ce sujet ; il n’est que lire la presse quotidienne. Si la République est laïque et ne reconnaît aucun culte, c’est parce que toutes les croyances ont le droit d’être librement exprimées. Par sa neutralité, l’Etat autorise l’expression des convictions de chacun. Mais l'expression de ces convictions reste encadrée par la loi.

Nous avons le rare privilège de nous trouver dans un système démocratique et laïc, ce qui signifie que les agents de l’Etat doivent observer, à notre égard, et dans le cadre du service public, une stricte neutralité quant aux opinions qui sont les leurs dans les domaines politiques, économiques ou philosophiques. S’il n’en était pas ainsi, nous pouvons imaginer aisément les conflits qui pourraient naître dans les services publiques. Pour tout agent de l’Etat, dans l’exercice de ses fonctions, la liberté de conscience n’est pas absolue et reste encadrée et soumise au devoir de réserve. Monsieur Rémy Schwartz, commissaire du Gouvernement, rappelait dans ses conclusions relatives à une affaire soumise au Conseil d’Etat que « ce principe de laïcité est renforcé encore par la conception républicaine de l’Etat. Le politique commande aux administrations. Mais le pendant de cette soumission au pouvoir politique, à ses orientations et instructions, est la neutralité absolue des mêmes administrations. C’est une garantie donnée tant aux agents, face aux aléas de la vie politique, qu’aux administrés. »

En revanche, la loi reconnaît aux citoyens,le droit de manifester dans le respect des prescriptions prévues par cette même loi, leurs propres convictions dans les domaines sus-cités.

Elle le permet même à l’Ecole, c’est l’article 10 de la loi d’orientation du 10 juillet 1982, dans la mesure où l’exercice de ces libertés ne porte pas atteinte aux activités d’enseignement. Cette liberté est donc également encadrée et c’est heureux ! Si tel n’était pas le cas, on voit assez facilement ce qui adviendrait de ceux qui n’auraient ni les moyens, ni la force de se défendre face à des convictions affirmées comme vérités pour ne pas dire comme la Vérité ! Dans le domaine éducatif, la loi du 15 mars 2004 a même renforcé cette liberté.

C’est donc à une réflexion critique qu'il faut se livrer sur le concept de laïcité, sans doute, mais aussi sur ceux de neutralité, de libertés et Liberté, de vérités et Vérité.

L’ancien ministre de l’éducation nationale, Jack Lang, écrivait dans la préface d’un document consacré à « la prévention des risques de prosélytisme sectaire » :

« Est-il projet plus noble que celui de former des citoyens libres, responsables, respectueux des autres, capables de penser de façon autonome, d’imaginer l’amélioration de chacun et de rechercher le progrès en toutes choses ? C’est celui de l’Ecole (…), c’est d’abord le droit à l’instruction, au savoir, le droit à la discussion, à la contestation. C’est l’adhésion à la vie en société, avec la seule et noble contrainte du respect de l’autre et de ses convictions. C’est un combat permanent aussi, contre la soumission, la servitude, l’aveuglement, l’exclusion, l’irrationalité dogmatique, l’enfermement et la manipulation mentale. »

Ce combat est « au service de l’autonomie de la conscience », au service de tout le peuple qui constitue la Nation. Cela n’est pas sans poser de questions ; l’une d’elles, notamment, est de savoir quelles sont les limites que l’Etat doit se donner et quelles sont celles qui se posent à chacun des citoyens dans l’exercice de la liberté de conscience et dans l’exercice des libertés fondamentales garanties par la Constitution.

Mais ce combat pose encore une autre question : jusqu’où peut-on tolérer le droit à la différence sans dévoyer les principes de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ? Dans un monde multiculturel, et il faut s’en réjouir, la tentation de l’ethnocentrisme, c’est à dire la valorisation de cultures dont les principes peuvent être en opposition avec les nôtres au nom de la Liberté peut mener, et l’histoire l’a montré, à des excès hautement condamnables. Ces cultures peuvent en arriver à une tentative de déstabilisation de la « culture dominante d’accueil », alors que cette dernière avait pour objectif de les protéger en tant que groupes minoritaires. Une autre tentation se fait jour, celle des communautarismes, c’est à dire l’idée d’un développement séparé des groupes communautaires. C’est quelque part accepter l’inacceptable ( les pratiques de mutilation sexuelle chez les toutes jeunes filles, par exemple) pour aboutir, enfin, au rejet de nos institutions et des principes fondamentaux du droit par « des autorités autoproclamées » qui exigent, au nom de ces mêmes principes, des traitements d’exception : « tu me prends comme je suis et je refuse de discuter et que soient discutées les valeurs auxquelles je me réfère. »

Vous l’avez compris, la réflexion à propos de la laïcité est loin d’être close ! A nous de nous en saisir et, dans un bel élan riche de savoir critique mais non exempt de générosité, de trouver d’autres voies à la laïcité que l’assimilation, la coexistence ou l’intégration qui sont celles d’aujourd’hui pour que la paix et la fraternité règnent parmi les hommes.

C’est ce que le Président de la République avait exprimé dans son allocution du 20 novembre 2003 lors de l’ouverture du débat national sur l’école :  « Depuis plus d’un siècle, la République et l’école se sont construites l’une avec l’autre (…) l’école de la République , ciment de la Nation, source de l’identité française. »

C’est ce qui a animé la commission voulue par le Président de la République et présidée par monsieur le Conseiller d’Etat Bernard STASI dont les travaux se sont entourés de tous les avis des différentes obédiences pour aboutir à la loi du 15 mars 2004.

C’est ce que le Premier Ministre déclarait le mardi 3 février 2004, à la tribune de l’Assemblée Nationale, lors de l’ouverture du débat sur le projet de loi relatif à l’application du principe constitutionnel de laïcité dans les écoles, collèges et lycées : « La question que pose le projet de loi que je suis venu vous présenter, c’est celle de la permanence de nos valeurs, c’est aussi celle de notre capacité à les faire partager à ceux qui nous ont rejoints plus récemment et qui sont aujourd’hui français à part entière. C’est enfin celle de la capacité de la république à pouvoir agir pour ses convictions, sans faiblesse.(…) Notre devoir est donc de créer les conditions du partage de ces valeurs. (…) Liberté, et donc liberté de conscience, égalité, et donc égalité entre les hommes et les femmes, fraternité, valeur humaniste à la foi spirituelle et authentiquement laïque. (…) Parce que l’Etat est le protecteur de la liberté de conscience (…) je vous le dis avec force et conviction (…) dans la République française la religion ne peut pas et ne doit pas être un projet politique (…) la laïcité étant (alors) à la fois une tradition, une manière de vivre, mais aussi, pour les Français, un promesse de liberté. »