« Elever l’enfant de manière à ce qu’il se développe à l’abri des contraintes idéologiques, et aussi publier les manuels scolaires susceptibles d’aider à atteindre ce but. »

Cette pensée de FERRER met en évidence la pensée pédagogique de FERRER et qu’il n’entendait pas dissocier ses idées politiques et pédagogiques, mettant les premières au service des secondes. Il s’agit avant tout de « parvenir à l’émancipation humaine par l’éducation, rien que par l’éducation », le véritable éducateur étant celui qui peut le mieux défendre l’enfant contre ses idées à lui, contre ses volontés, qui appelle le plus aux énergies propres de l’enfant.

FERRER ajoute que l’école ne pourra rien tant qu’elle ne sera pas libérée de la triple contrainte politique, religieuse et administrative, et qu’elle devra au contraire « remplacer les méthodes dogmatiques de la théorie par la méthode rationnelle proposée par les sciences naturelles, dans le but d’éduquer, de développer et de cultiver les aptitudes particulières de chaque écolier. »

C’est sur ces bases précises que l’Ecole moderne connaît des débuts modestes le 8 septembre 1901, avec 30 élèves (12 filles et 18 garçons).

Dès l’année suivante, le succès est grand en Espagne et dépasse largement le cadre de la péninsule. Ce succès ira grandissant jusqu’en 1906 et verra l’ouverture d’autres écoles, la parution de nombreuses publications et ouvrages.

FERRER écrivit en novembre 1900 : « Mon plan est que l’école soit primaire. Elle sera mixte de garçons et de filles. Pendant le jour, l’école sert aux enfants ; le soir, elle sera ouverte aux adultes. En même temps, on donnera des conférences, on y trouvera un local à disposition des syndicats, où des groupements d’ouvriers, sociétés qui ne s’occuperont pas de politique, mais travailleront à obtenir leur complète émancipation. Dans cette école il ne faudra glorifier ni dieu, ni patrie, ni rien… La devise sera suivante : Extirper du cerveau des hommes tout ce qui les divise, en le remplaçant par la fraternité et la solidarité indispensables à la liberté et au bien être pour tous. »

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’école est payante. FERRER considère que chacun, en fonction de ses moyens, doit participer à l’éducation. Cette idée favorise le brassage des couches sociales. Ce brassage s’étend aux sexes, filles et garçons sont élevés ensemble, bravant ainsi les tabous de la société de l’époque.

L’école est laïque, non seulement au sens où la religion en est bannie, mais plus encore dans celui où elle s’appuie sur la raison et sur la science. « Ni dogmes, ni systèmes, ces moules qui réduisent la vitalité des esprits à la mesure des exigences d’une société transitoire qui vise à être définitive. »

l’école sera dotée d’une bibliothèque, d’une imprimerie, d’une maison d’édition, et d’œuvres parascolaires.

L’analyse de son livre, « La escuela moderna », publié à titre posthume, nous donne clairement le schéma de l’organisation de l’Ecole Moderne.

Dès le début de l’ouvrage, FERRER se dit convaincu que l’enfant naît sans idées préconçues et que par conséquent l’adulte se doit de le prévenir que d’éviter les erreurs est indispensable et que, pour ce faire, il faut qu’il ne croit en rien par la simple foi, mais qu’il doit passer par l’expérience et par la raison.

Le Maître se doit de favoriser et de diriger les aptitudes propres à chaque enfant, de telle façon qu’il devienne non seulement un membre utile à la société mais aussi qu’il soit en mesure d’élever la collectivité. Cet enseignement repose, pour FERRER, sur la devise : « Il n’y a pas de droits sans devoirs », et que le programme de l’Ecole Moderne vise à préparer à une humanité fraternelle, sans catégories de sexes ni de classes. Il y ajoutera la participation active des parents d’élèves.

Mais, FERRER insiste sur le fait que la pédagogie moderne ne doit pas être confiée ni à l’Etat, ni à un organisme officiel qui restent, et l’un et l’autre, un soutien inconditionnel aux privilèges, qui éditent des lois injustes et qui consacrent l’exploitation de l’homme par l’homme.

FERRER en veut pour preuve l’état physique dans lequel se trouve la majorité des élèves : crasse, maladies, manque total d’hygiène, autant de signes qui entretiennent un peuple dans un état de dépendance et de faiblesse.

Aussi, va-t-il faire porter ses efforts sur l’hygiène à partir de principes qui nous semblent évidents aujourd’hui. La salubrité des édifices scolaires devient une priorité. La prévention des maladies sera réalisée par la visite d’un médecin scolaire. On développera l’éducation physique et sportive en fonction des capacités de chaque enfant.

Toute éducation passe par le jeu. Qu’il soit physique ou intellectuel, celui-ci permet à l’enfant de manifester ses désirs et de s’y confronter. Il appartient à l’éducateur de bien diriger le jeu et à l’enfant d’y être attentif. C’est alors, selon FERRER, que la conception religieuse affirmant que la vie est une croix à porter disparaît au profit de celle que la vie mérite d’être vécue et qu’il faut savoir en jouir.

Mais pour faire une école, il faut des Maîtres ! Conscient de ce problème, FERRER crée l’Ecole normale rationaliste qu’il place sous la direction de maîtres expérimentés et de professeurs issus de l’Ecole Moderne.

Contrairement aux instructions officielles de l’époque, FERRER pense qu’il est plus utile de laisser à l’éducateur l’initiative et la liberté d’organiser son enseignement en fonction du goût et des disponibilités de ses élèves. Il ajoute qu’il est stupide de « donner la même ration pour tous les estomacs, d’avoir les mêmes exigences pour toutes les intelligences et de proposer à tous les mêmes études et le même travail. »

FERRER affirme qu’à l’Ecole Moderne, il ne faut ni récompenses ni punitions. En effet, le sens de l’égalité et le brassage des couches sociales qu’il défend, ainsi que la mixité des sexes, supposent qu’aucun élève ne puisse s’enorgueillir ou se sentir coupable d’une note excellente ou trop faible. FERRER pense que l’objectif de l’école n’est pas de décréter les aptitudes ou les insuffisances de tel ou tel enfant mais de faire en sorte que ces derniers puissent aller à leur rythme et sortir de l’école pour entrer dans la vie active avec les aptitudes nécessaires pour être leur propre maître et leur propre guide.

Pour arriver à une telle formation, il est nécessaire d’avoir des manuels qui respectent la laïcité et exposent les grands principes de Liberté, de Fraternité et d’Egalité. Peu d’ouvrages existent en ces domaines. Jean GRAVE (1854-1939. Anarchiste français, compagnon d’Elisée RECLUS) édite en 1901, à Paris, « les aventures de Nono », sorte de poème qui compare les délices de la société future aux dures réalités de la société de l’époque. Le texte vante les mérites et les douceurs du pays de « l’autonomie ». Œuvre d’une telle qualité que les censeurs n’ont jamais lui reprocher quoi que ce soit. Ce livre aura un immense succès au sein de l’Ecole Moderne et sera à l’origine de plusieurs publications ultérieures.

FERRER se réfère à l’expérience française de l’école et montre les ambiguïtés qu’il y a à définir l’école laïque par rapport à l’école libre, puisqu’en réalité aucune des deux n’est totalement neutre. Cela étant, il affirme quand même que l’école rationaliste peut persuader les futurs hommes et femmes de la société qu’en n’espérant rien des privilèges, on peut alors croire en soi-même et en la solidarité librement acceptée.

Il veut aussi ouvrir son école aux adultes, tant le soir que la journée. Pour cela, il inaugure le 15 décembre 1901, un cycle de conférences publiques et dominicales consacrées à la pédagogie, mais dont le caractère dominant sera l’éducation des masses. On peut parler ici d’éducation populaire continue avant l’heure. Pour ces conférences, FERRER s’adjoindra des personnalités extérieures à l’école qui reprendront les grands thèmes qu’il développait à l’usage des enfants. Ces conférences, s’ajoutant aux trois années d’études de formation, devaient consacrer le succès de l’Ecole Moderne.

L’enseignement rationaliste et scientifique de l’Ecole Moderne avait pour but l’étude de ce qui est favorable à la liberté de l’individu et à l’harmonie de la collectivité, grâce à un régime de paix, d’amour et de bien être pour tous sans distinction de classes ni de sexes.

FERRER mérite non seulement qu’on retienne son nom, tant pour l’œuvre que pour l’homme, mais aussi qu’on le classe au rang des plus grands pédagogues du monde. Sans doute fut-il influencé parce qu’il avait découvert en France : les lois de 1882 et 1883, sans omettre la loi du 9 décembre 1905 complétée par celles de 1907.

Dans la dédicace du livre de Sol FERRER, sa fille, « La vie et l’œuvre de Francisco FERRER », Albert CAMUS disait :

« Francisco FERRER pensait que nul n’est méchant volontairement et que tout le mal qui est dans le monde vient de l’ignorance. C’est pourquoi les ignorants l’ont assassiné et l’ignorance criminelle se perpétue encore aujourd’hui à travers de nouvelles et inlassables inquisitions. En face d’elles, pourtant quelques victimes, dont FERRER, seront toujours vivantes. »

Michel FOUCHARD